Les influenceurs, alliés inattendus de la lutte contre le harcèlement scolaire

 
 

Selon une étude de l’UNICEF, un élève sur dix en France serait la cible de harcèlement scolaire. Mais les campagnes de sensibilisation et les initiatives à ce sujet sont malheureusement très récentes. Et dans cette bataille, on retrouve des protagonistes qu’on n’attendait pas : les influenceurs·euses.

Le harcèlement scolaire, qu’est-ce que c’est ?

Avant toutes choses revenons sur la définition de ce terme. Marie Quartier, autrice du livre Harcèlement à l’école, lui apprendre à s’en défendre, utilise le terme de “intimidation”.

« Le terme de harcèlement appartient au monde des adultes. Le fait de l'utiliser à l'école projette immédiatement des logiques et des images qui appartiennent également au monde des adultes. L’intimidation contient le thème de la peur. Il permet d’être attentif aux petites choses ». Marie Quartier

Selon Marie Quartier, trois facteurs constituent ce type de situation : la répétition des maltraitances, l’effet de groupe, et l’incapacité de l’élève cible à se défendre. Ce type de situations a beaucoup tendance à se produire dans le milieu scolaire, où un groupe est créé “artificiellement” (les élèves n’ont pas choisi d’être ensemble), et soumis à du stress et de la pression. Face à cette insécurité, le groupe a tendance à réagir par l’intimidation.

Cette problématique s’est intensifiée avec l’arrivée du numérique dans la vie des enfants et des adolescent·es. Gwendoline Babin, psychologue éducation nationale, pointe les dangers du numérique dans un contexte d’intimidation. « Au collège et au lycée ça va très vite. On a par exemple des élèves qui mettent des photos d’une ancienne copine en petite tenue sur les réseaux sociaux… ce qui pouvait prendre des années, là ça peut avoir des conséquences rapides et dramatiques. On n’a pas le temps de voir que l’enfant va mal, qu’il est déjà la risée du collège ». Gwendoline Babin

Youtubeur aux quinze millions d’abonnés, Squeezie s’est rendu malgré lui complice du harcèlement d’une adolescente. Dans certaines vidéos, le youtubeur s’amuse à réagir à des contenus "gênants". C’est ainsi que la jeune fille s’est retrouvée sur la chaîne de Squeezie, et a été la cible d’une déferlante de brimades. Alerté par une association, il s’est fendu d’une vidéo d’excuse, ainsi que d’un laïus mettant en garde contre les pratiques de harcèlement.

La vidéo peut sembler forcée (d’autant plus que Squeezie n’a pas pris la peine d’enlever ses liens commerciaux en description), mais elle reste importante. Les adolescent·es qui suivent Squeezie l’écoutent, parce que c’est un interlocuteur qu’ils et elles ont choisi de suivre, plus jeune que leurs parents.

Et c’est là que les influenceurs·euses peuvent jouer un rôle face au harcèlement scolaire. Les “influenceurs·euses” n’existaient pas vraiment quand Mélany Bigot a subi des brimades au collège et au lycée. Mais découvrir que le vidéaste Louis San, qu’elle apprécie beaucoup, a vécu la même chose qu’elle, lui a fait beaucoup de bien. « Quand je le subissais, c'était super tabou, personne parlait de harcèlement. Il fallait juste subir et se taire. Même les profs et les pions réagissaient pas. Et c'est une période qui m'a énormément marquée, qui a eu des influences (positives et négatives) sur ma vie d'adulte. Mais surtout, j'avais pas vraiment tourné la page. De voir que des youtubeurs et des influenceurs prenaient désormais la parole pour parler de ça, ça m'a fait un bien fou. J'ai réalisé que ce que j'avais vécu n'était pas normal, mais je n'étais pas responsable de la situation ».

La croisade d’Enjoyphoenix

L’exemple le plus parlant, c’est celui d’Enjoyphoenix. En 2014, la youtubeuse se confie sur le harcèlement qu’elle a subi au lycée. Ses déclarations contribuent à libérer la parole : par la suite, elle participe au plan d’action du gouvernement contre le harcèlement scolaire mené par Najat Vallaud-Belkacem, et fait le tour des plateaux télé pour sensibiliser sur ce sujet.

Enjoyphoenix n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Beaucoup d’influenceurs·euses ont pris la parole sur cette thématique, comme Bilal Hassani, jeune représentant de la France à l’Eurovision. Ainsi, ils et elles font comprendre à leurs jeunes abonné·es, pour beaucoup encore en âge d’être confronté·es à ce phénomène, qu’ils et elles ne sont pas seul·es et que le problème n’est pas sans issue.

Pour Mélany, s’identifier dans ces témoignages a été un vrai point positif. « J'ai aussi lu un livre vachement bien qui abordait cette thématique, Lettres à l'ado que j'ai été, écrit par des influenceurs et des journalistes, et certaines lettres parlent du harcèlement scolaire. Je me suis reconnue dans certains profils et j'ai écrit ma propre lettre à l'ado que j'avais été. Là encore, ça m'a fait un bien fou, j'ai enfin osé extérioriser tout ce que j'avais sur le coeur depuis cette période ! »

Marie Quartier se réjouit de ce type d’initiatives, mais prévient : si ces prises de parole permettent de rendre le sujet moins tabou, elles n’y mettront pas fin puisqu’il s’agit d’un problème systémique. Elle fait partie de l’équipe du centre Résis, qui a mis au point une formation à destination des professionnel·les de l’enseignement, pour repérer ce phénomène et résoudre le problème, avec un maximum d’écoute et sans blâmer. Une chose est sûre, le combat contre le harcèlement scolaire est en marche.

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