Récits croisés d’enfants et ados autistes : des écrans qui font du bien
© Atypical
Lorsqu’il est question de parentalité, le numérique souffre de certains préjugés. On accuse les écrans d’obnubiler les enfants et les ados, au risque même de les rendre moins intelligent·es… et le cliché a encore plus la peau dure lorsqu’il s’agit de jeunes personnes autistes. Pourtant, l’écran peut avoir un rôle très positif dans la vie des personnes porteuses de Troubles du Spectre Autistique.
Un monde trop captivant ?
Le mot autisme est dérivé du grec autos, ou soi-même. De fait, le repli sur soi est très souvent observé chez les personnes présentant des troubles du spectre autistique. Certains parents et professionnel·les de santé font un lien entre autisme et écran, jusqu’à utiliser le terme d’“autisme virtuel”. Cette notion présume que l’usage démesuré des écrans chez les enfants peut être à l’origine de l’autisme, mais cela n’a jamais été prouvé scientifiquement. En fait, la provenance de ces théories est souvent obscure et peut même parasiter le diagnostic de l’autisme, comme l’explique le journaliste Olivier Monod dans cet article de Libération.
Ilhan a lui été diagnostiqué très tôt. Avant cela, ses parents Yasin et Laura ont cru qu’il avait des problèmes d’audition.
Au début, tout ce qui était écran, c’était le seul truc qui attirait son attention, que ce soit télé ou autre chose. Nous on avait beau l’appeler, il ne nous répondait pas, il ne nous regardait même pas !
Yasin et Laura, parents d'Ilhan
Les deux parents l’expliquent, quand ils prêtent leur smartphone à leur fils, âgé aujourd’hui de dix ans, pour qu’il joue à un jeu, il se replie complètement et cela peut devenir obsessionnel. Selon leurs impressions, c’est surtout le caractère répétitif du jeu qui le captive, parce que cette fascination est moins forte avec les jeux vidéo sur Nintendo Switch, par exemple. Il aime quand même y passer du temps : il cite Super Smash Bros dont il adore la variété de personnages et de niveaux, et Mario Maker pour son côté aventure.
Franck Alcouffe est ergothérapeute. Il est spécialisé dans l’aide aux personnes en situation de handicap, qui ont besoin d’aide pour adapter leurs gestes aux actions et objets de la vie quotidienne. À ce titre, il travaille avec plusieurs personnes autistes, plus particulièrement autour de troubles de l’apprentissage. Pour lui, l’écran n’est pas un ennemi, mais il faut faire preuve de vigilance.
Il faut que ça soit régulé. Avec l’autisme on est plutôt dans le repli sur soi, et un jeu vidéo, ça peut favoriser ce repli. Mais ça dépend des jeux ! On peut partir sur quelque chose de collaboratif : jouer à deux et travailler la collaboration par ce médiateur.
Franck Alcouffe, ergothérapeute
L’écran comme médiateur
Puisque l’écran intrigue l’enfant, cela peut être un bon moyen d’établir le contact. Myriam est la mère de Daniel, un petit garçon autiste de 4 ans. Ses difficultés se situent beaucoup dans la communication avec les autres : il a du mal à regarder les gens dans les yeux, et donc à les reconnaître.
Notre orthophoniste a dédramatisé un peu les écrans en indiquant que ça pouvait être bénéfique dans notre cas. Vers deux ans, on a pris des photos de toute la famille faisant des grimaces par exemple, et il devait nous reconnaître. Si mon père met mes lunettes par exemple ou que je mets sa veste il peut être très troublé.
Myriam, maman de Daniel
Les écrans dans un contexte éducatif, ce n’est pas rare en situation d’autisme : certain·es enfants et adolescent·es peuvent aussi s’aider d’un ordinateur pour faciliter la prise de notes en cours. Franck Alcouffe propose régulièrement cette alternative, mais fait remarquer que cela peut venir affirmer la différence auprès des autres élèves, engendrant parfois un sentiment de malaise.
Au-delà des outils purement éducatifs, le numérique peut aussi être un moyen de créer de l’interaction. Porteuse de troubles du spectre autistique, Elfie a aujourd’hui 20 ans. Adolescente, elle se passionnait pour les jeux vidéo et passait du temps sur sa Nintendo DS. Sa mère Inès raconte :
“Parfois on avait un peu l’impression qu’elle avait tendance à s’enfermer dans ces jeux, mais on en discutait ensemble, et ça lui permettait de revenir sur terre.”
Inès, mère d'Elfie
Adrien, aujourd’hui âgé de 24 ans, se sert d’internet pour développer sa sociabilité. Il décrit son enfance comme “très complexe” en raison de ses interactions difficiles avec les autres. En 2019, il s’est mis à partager ses sessions de jeux vidéo sur twitch.
Je savais qu'en étant un streameur, j'aurais été au centre de l'attention et j'ai toujours eu peur d'avoir l'attention des personnes que je ne connais pas sur moi, ça constituait donc un très grand défi qui était justement de combattre cette peur. Je savais aussi qu'au fond, je pouvais faire tout ce que je voulais, ce qui est plus facile pour s'exprimer plutôt que d'essayer de suivre une conversation, que je ne maîtrise pas dans la très grande majorité du temps.
Adrien, streameur porteur de TSA
Les jeux vidéo passionnent Adrien depuis l’âge de 6 ans. Très vite, il est fasciné par le côté interactif du jeu, un médium qui interagit avec son spectateur. Aujourd’hui, il va à la rencontre des autres en se sentant plus “protégé”, tout en partageant quelque chose qu’il aime, sur sa chaîne.
Un moyen de développer sa passion
Approfondir une passion grâce au numérique, c’est aussi quelque chose qui fascine Elfie. Couturière dans un atelier, elle nourrit une forte passion pour le cinéma. Enfant, elle adorait les dessins animés Walt Disney, se documentait sur la vie du créateur du studio… aujourd’hui, tout se passe en ligne.
Le cinéma c’est ma passion, je suis abonnée à des chaînes youtube, des podcasts qui parlent de cinéma, d’ailleurs c’est quelque chose qui me détend d’écouter des choses sur le cinéma.
Elfie, 20 ans
Même son de cloche du côté de Léna, 14 ans. Fascinée par l’illustration, elle remplit des pages et des pages de dessins sur un carnet. Sur Instagram, Pinterest et Twitter, elle suit des illustrateurs·trices qui l’inspirent.
Généralement je regarde ce que font les artistes comme par exemple Guillaume Singelin sur Instagram, Rosemary Vallero O’Connell, Picolo, Fukari, Peo Michie, Rebecca Sugar… mais il y a beaucoup d’artistes que j’aime bien.
Léna, 14 ans
Myriam quant à elle explique que Daniel, son fils de 4 ans, est passionné par les roues et les voitures. Alors de temps en temps, il joue avec son père à un jeu vidéo de course, et un autre de réparation de voitures sur smartphone. Mais chez eux, la règle ne change pas : les jeux vidéo, c’est toujours accompagné d’un·e adulte. Léna et Elfie font toutes deux le même constat : grâce au numérique, elles peuvent creuser les thématiques qui leur font du bien et qui les détendent. Côté parents, on voit les écrans comme une façon de créer du lien, surtout durant l’enfance où ils se familiarisent encore avec les troubles du spectre autistique.
Si aujourd’hui le numérique est parfois proposé dans un but pédagogique (comme par exemple avec l’application pour tablette çATED), il permet aussi aux personnes autistes de communiquer autour de ce qui les anime, de façon plus rassurante.